Kwilu Briques : une solution locale de construction écologique en République démocratique du Congo
En réponse àu Rapport sur l’analyse de la chaîne de valeur du logement en République démocratique du Congo, Patrick McAllister a rencontré Christophe Côte afin d’en apprendre davantage sur les moyens mis en œuvre par Kwilu Briques pour consolider la chaîne de valeur de la construction de logements abordables[1].
Christophe Côte est le directeur général de Kwilu Briques à Kwilu-Ngongo, en République démocratique du Congo. Cet ingénieux producteur de blocs d’argile cuite et d’autres matériaux de construction respectueux de l’environnement est résolu à aider les Congolais à améliorer la qualité de leur logement grâce à des matériaux d’origine locale. Ingénieur en gestion, Christophe a conçu Kwilu Briques dans le cadre de sa formation à la Solvay Brussels School of Economics and Management. En 2009, il a eu l’occasion de visiter la Compagnie Sucrière de Kwilu-Ngongo dans le cadre de sa thèse, l’Université libre de Bruxelles étant partenaire du Groupe belge Finasucre SA. Charles Feÿs, alors secrétaire général du Groupe, l’avait choisi pour trouver une solution au problème d’excès de bagasse ou résidu de la canne à sucre.
L’idée consistait à l’utiliser comme carburant pour la production de briques cuites. Alors que 85 % du résidu de canne à sucre de l’entreprise étaient utilisés pour alimenter la raffinerie de sucre, les 15 % restants atteignaient le chiffre inacceptable et toujours plus élevé de 10 000 tonnes : un équipement plus performant nécessite moins de matière combustible pour l’exploitation de la raffinerie. Ailleurs, les sociétés sucrières utilisent tout ce combustible pour produire de l’énergie et l’excédent est vendu au réseau national, mais cette pratique est encore difficile à développer en RDC. Parallèlement, les bâtiments en ciment et en briques d’argile récemment construits à Kinshasa s’effondraient en raison de la mauvaise qualité des matériaux de construction utilisés. En discutant avec des ingénieurs sud-africains, Christophe Côte a trouvé une méthode pour sécher le résidu de canne à sucre issu de la production de sucre et l’utiliser comme combustible pour les fours afin de produire des blocs d’argile cuite de haute qualité, faisant ainsi d’une pierre deux coups. Christophe a rencontré les directeurs de l’entreprise qui ont accepté d’investir dans son projet, et les a aidés à transformer un problème d’excès de bagasse en une solution de matériaux de construction améliorés pour les Congolais. Et c’est ainsi qu’est née Kwilu Briques en 2014.
L’interview est également disponible sur le site de notre partenaire ELAN RDC en Anglais et en Français.
PM : Christophe, qu’est-ce qui vous a d’abord attiré en RDC ?
CC : J’ai grandi en Belgique et ignorais presque tout de ma culture congolaise. Mes parents parlaient lingala à la maison, mais seulement lorsqu’ils ne voulaient pas que leurs enfants les comprennent ! Je me souviens que lorsque j’ai eu l’occasion de me rendre en RDC pour ma thèse, je ressentais de forts sentiments à la fois d’appartenance et de non-appartenance à ce pays. Je me sens profondément belge et congolais et je veux que le Congo aille mieux.
PM : En quoi les briques Kwilu sont-elles différentes des autres briques et blocs présents sur le marché ?
CC : Pour commencer, nous sommes les seuls à produire des blocs d’argile industriels dans l’ouest de la RDC. Nous assurons également, sans surcoût, la livraison au client. Il s’agit d’un avantage non négligeable en RDC car le transport est onéreux et sa gestion, compliquée. De plus, nos blocs sont fabriqués avec des matériaux locaux : nous nous approvisionnons en argile à proximité de l’usine et les fours sont chauffés avec la bagasse de la raffinerie de sucre, ainsi nous n’utilisons ni combustibles fossiles ni charbon de bois. Mais la vraie différence entre les briques Kwilu et leurs concurrentes, c’est que nous avons conçu un produit de meilleure qualité car nous voulons vraiment que les Congolais puissent vivre dans de meilleurs logements. Nous savons que la plupart de nos clients ne peuvent se payer les services de bons architectes et ingénieurs, c’est pourquoi nous les accompagnons tout au long des trois étapes suivantes : dessin, étude quantitative et construction. Lors de la première étape du dessin nous prenons des plans, ceux apportés par le client ou un plan que nous réalisons nous-mêmes. À la deuxième étape, nous utilisons le logiciel Revit pour élaborer des modèles quantitatifs fondés sur les plans et obtenir des quantités et des prix précis ; nous nous assurons également de l’exactitude des plans. Enfin, lors de la dernière étape, nous formons les maçons sur nos blocs Kwilu Briques qui ont un rapport qualité/prix bien meilleur que les matériaux traditionnels, pour peu qu’ils soient utilisés correctement.
PM : Le bloc en ciment reste le matériau le plus utilisé, alors pourquoi lui préférer Kwilu ?
CC : Le ciment et l’argile existent tous les deux depuis longtemps. Mais l’argile est mieux adaptée aux régions tropicales parce qu’elle est plus légère et plus isolante. Si l’on veut vivre dans un environnement durable, plus vert et plus confortable, il faut choisir nos solutions. En termes de prix, nous sommes compétitifs, certaines de nos solutions de construction étant même 10 à 15 % moins chères.
PM : Un rapport récent montre que la chaîne de valeur de la construction de logements en RDC est rompue. Quelles sont, selon vous, les faiblesses de cette chaîne de valeur ? Comment Kwilu Briques peut-elle améliorer la situation ?
CC : Vous avez raison, toutes les étapes de la chaîne sont faibles et aucun maillon n’est plus important qu’un autre. Par exemple, il existe tellement d’intermédiaires prêts à sacrifier la qualité sur l’autel du profit personnel que d’un côté, les plus démunis ne peuvent s’offrir ces blocs haut de gamme et, de l’autre, les plus aisés n’ont plus accès à des produits de qualité à cause de ces escrocs. Si l’on veut améliorer cette situation, il convient donc d’adopter une approche plus intégrée axée sur le partage de l’information avec le client. La conception et l’utilisation de matériaux normalisés sur la base d’une étude quantitative est un moyen d’améliorer la situation. Un autre moyen consiste à tenter d’établir des partenariats au sein de la chaîne de valeur.
PM : Le financement constitue un autre maillon brisé de la chaîne de valeur. Proposez-vous des matériaux à crédit ?
CC : En principe, non. Nous ne travaillons avec aucun établissement de crédit pour financer nos produits. Certains de nos clients comme les employés de notre société mère, la Compagnie Sucrière, peuvent acheter à crédit. D’autres travaillent avec des banques mais nous, pas encore.
PM : La maison la moins chère construite par un promoteur en RDC coûte environ 40 000 $ (environ dix fois le revenu national moyen). Lorsque vous travaillez avec des familles à faibles revenus, quels sont leurs plus grands besoins en matière d’amélioration de leur logement, selon vous ?
CC : La construction revient trop cher car la chaîne de valeur est brisée. L’un des principaux problèmes réside dans le fait que le taux de croissance urbaine dépasse la croissance démographique, si bien que le logement devient un problème critique pour le bon développement des villes congolaises. C’est pourquoi nous étudions actuellement la conception d’une maison dont le coût serait de 10 000 $, et qui serait construite en partenariat avec des entreprises privées du secteur de la construction et l’État congolais. C’est un projet à long terme mais nous y travaillons. L’hétérogénéité de la pauvreté constitue un autre défi : les besoins d’une personne défavorisée vivant en zone rurale ne sont pas les mêmes que ceux d’une personne qui vit en zone urbaine. Dans les zones rurales, les blocs de terre constituent la meilleure option. Lorsque vous mélangez de la terre avec de l’eau, vous pouvez facilement lui donner une forme. En ajoutant un tout petit peu de ciment et en compressant le mélange dans un moule, il durcit et, une fois sec, il est très solide. Kwilu Briques possède des machines à mouler ; nous aimerions les vendre ou les louer. La formation des maçons serait assurée par un groupe d’experts locaux et étrangers. Nous sommes en pourparlers avec Ingénieurs sans frontières Belgique et une école de maçonnerie de la ville de Tshela pour tenter de donner vie à ce projet.
Personnellement, je pense qu’améliorer la construction ne consiste pas seulement à fournir des matériaux, mais aussi à aider les gens. Aussi, avons-nous commencé à écrire un livre sur le processus de construction d’une maison, étape par étape. Le livre décomposera toutes les phases de construction et expliquera aux utilisateurs comment utiliser nos produits. Pour ce faire, nous disposons de brochures d’assistance technique telles que « Comment construire un mur » ou « Comment poser un sol ». Les architectes et ingénieurs de la société Mukandu participent à ce livre ; le PDG de nationalité congolaise est ingénieur en construction et a acquis une expérience en Afrique du Sud et en Angola.
PM : Proposez-vous de l’aide aux bricoleurs à faibles revenus ?
CC : Pendant la production, certains de nos produits ne répondent pas aux spécifications d’un bâtiment à plusieurs étages mais peuvent être utilisés pour un bâtiment de plain-pied ; nous les vendons à prix coûtant sur notre site de production (nous vendons uniquement sur place, transport non inclus). Cette solution ne peut convenir aux plus démunis qui achèteront plutôt localement des briques d’argile brûlée de bonne qualité, mais notre prix est de 350 francs (0,27 $), soit le tiers du prix du produit standard.
PM : Pouvez-vous nous dire combien de personnes vous employez et nous expliquer votre processus de production ?
CC : Nous employons actuellement 130 personnes qui travaillent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 car les fours doivent fonctionner en continu. Le feu circule de chambre en chambre sans jamais s’arrêter. Le redémarrage prend une semaine. Nos machines produisent 10 tonnes de blocs d’argile par heure et proviennent de Belgique et d’Allemagne. Elles correspondent aux standards d’une briqueterie. Comparées à des machines plus perfectionnées elles ne sont pas très automatisées, mais nous tenions à ce que nos employés puissent prendre part au processus car pour nous, l’emploi revêt non seulement un aspect commercial mais aussi social. Sur ce dernier plan, les personnes qui viennent travailler chez nous bénéficient d’un bon salaire qui leur permet d’envisager un peu mieux l’avenir. Au niveau commercial, un jour, ces personnes vont consommer notre produit et il serait dommage de ne pas en tenir compte. Il ne s’agit pas de la perspective commerciale de la vente du produit. Les personnes qui construisent une maison n’y pensent pas.
PM : Quels sont vos objectifs pour Kwilu Briques ?
CC : Notre premier objectif est de fournir les outils et les connaissances qui permettront d’améliorer l’habitat en RDC, le deuxième, la croissance dans tout le pays et le troisième, la réalisation de bénéfices. Au cours des trois prochaines années je voudrais décupler les ventes ; nous atteindrions alors la pleine capacité de nos équipements.
PM : Et quelles sont vos aspirations pour la RDC ?
CC : À la suite de mon deuxième voyage en RDC, j’ai dit à mon oncle que les Congolais devraient arrêter de chercher des solutions à l’extérieur et commencer à les trouver chez eux. Notre slogan est « Notre terre, c’est notre force. ». Le Congo est une terre bénie comme en témoigne son sol qui regorge d’argile de grande qualité. Cela permet à Kwilu Briques de fournir à ses clients un produit local solide et pérenne pour leur construction. Je veux que ce pays réussisse à concrétiser tout son potentiel. Je veux montrer aux Congolais qu’ils doivent prendre part à ce changement.
PM : Bonne chance à vous !
CC : Merci !
[1] Centre pour l’innovation en logement Terwilliger. République Démocratique du Congo : Analyse de la Chaîne de Valeur de la Construction de Logements. 2018. Ce rapport a été élaboré dans le cadre d’une collaboration entre le Centre pour l’innovation en logement Terwilliger et Élan RDC, un projet de développement de systèmes de marché en RDC financé par UKAID et mis en œuvre par Adam Smith International.
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