La Finance Islamique dans le secteur du logement au Sénégal

Ce blog a été écrit par Alexandre-Armel Kipayko, Consultant Francophone de CAHF. Cette publication est une continuité de la lettre d’information sur le Sénégal publié par le CAHF en août 2021, qui a pour but de vous offrir une synthèse d’informations sur la finance islamique dans son ensemble et particulièrement dans les secteurs du logement et du financement du logement au Sénégal. Les opinions exprimées de l’auteur ont pour but de promouvoir l’information et le débat dans le secteur de la finance islamique et son impact dans le développement du logement au Sénégal.

 

Introduction

Le Sénégal est un pays côtier d’Afrique de l’Ouest qui abrite 15,9 millions d’habitants répartis sur une superficie de 196 712 km2. Il partage des frontières avec la Gambie, la Mauritanie, le Mali, la Guinée et la Guinée-Bissau. Environ 53 pour cent de la population est rurale et plus de 60 pour cent de la population a moins de 25 ans. La population sénégalaise est majoritairement musulmane à 96 pour cent.

Depuis 2001, le Sénégal a connu plusieurs périodes de forte croissance économique – dont récemment entre 2014 et 2019, avant le COVID-19 qui a considérablement modifié les perspectives économiques du pays. Les prévisions de croissance initialement fixées à 5,2% pour 2021, ont été revues à la baisse à 3,7% pour 2021 et 5,5% pour 2022. Cela est principalement dû à la résurgence du COVID-19 chez les principaux partenaires commerciaux du Sénégal et à la hausse des prix des matières premières.

Malgré les périodes de forte croissance économique au Sénégal, la réduction de la pauvreté et des inégalités a été décevante au cours de la dernière décennie. En novembre 2012, le Gouvernement sénégalais et l’ensemble de ses partenaires au développement ont adoptés une stratégie qui repose sur la vision d’un Plan stratégique Sénégal Émergent (PSE) à moyen et long terme, visant l’émergence économique à l’horizon 2035.

Cette stratégie inclus des volets de logements, qui sont de lancer une dynamique pérenne de construction de 10 000 à 15 000 logements sociaux l’an pour accroitre l’offre de l’habitat social ; d’engager une politique volontariste de baisse des coûts du loyer ; de réalisation d’un vaste programme de logements sociaux sur l’ensemble du territoire sénégalais, afin de favoriser la modernisation des centres urbains et l’accession des compatriotes sénégalais à la propriété foncière et immobilière tel que le projet Diamniadio et le projet Zéro Bidonville (PROZEBID) qui consiste à la construction de 100 000 logements sociaux subventionnés entre 2019 et 2024.

Pour pouvoir atteindre les objectifs fixés dans le PSE, le gouvernement sénégalais se base sur un financement public et privé. La Banque de l’habitat du Sénégal (BHS) soutient les agents publics, les travailleurs du secteur privé et les sénégalais de la diaspora dans leurs projets d’accéder à la propriété, en fournissant des lignes de crédits appropriées. D’autres banques privées telles que la Société Générale Sénégal, la Banque Islamique du Sénégal, Bank of Africa…etc.

Considérant le nombre significatif de la population qui est musulman au Sénégal, la finance islamique joue un rôle important dans le PSE du président sénégalais Macky Sall et l’obtention de propriétés à travers des prêts hypothécaire pour la population sénégalais.

 

Ce blog donne un aperçu général sur la finance islamique et son apport dans le logement et le financement du logement au Sénégal ainsi que les dernières actualités en la matière qui y sont liées.

 

La Finance Islamique

La finance islamique est un type de financement essentiellement pratiquée dans les pays du Moyen-Orient représentant environ 2 800 milliards de dollars d’actifs à travers le monde selon le rapport sur le développement de la finance islamique 2019. Elle recouvre l’ensemble des transactions et produits financiers conformément aux principes de la loi coranique, qui supposent l’interdiction de l’intérêt, de l’incertitude, de la spéculation, l’interdiction d’investir dans des secteurs considérés comme illicites, ainsi que le respect du principe de partage des pertes et des profits.

La finance islamique diffère des autres modes de financement par sa vision particulière du capital et du travail ; des pratiques économiques et financières en cours durant l’existence du prophète Mahomet lui servent en particulier de socle.

Avec une place importante dans la culture et dans la vie quotidienne sénégalaise, la religion islamique est estimée majoritaire à 96 pour cent dans le pays de Léopold Sédar Senghor qui y fût le premier président de 1960-80. C’est ainsi qu’en 1982 que l’État sénégalais a créé la Banque Islamique au Sénégal (BIS) avec l’appui de la Banque Islamique de Développement (BID), qui a pour objectif d’améliorer le revenu des bénéficiaires, à travers le renforcement de l’accès durable de la majorité des sénégalais à des services financiers islamiques adaptés dans différents secteurs, inclus le secteur du logement.

 

Financement islamique dans le logement au Sénégal

Selon le ministère de l’urbanisme sénégalais, le Sénégal fait face à un déficit de logement de 350 000 unités dans tout le pays. Les logements abordables restent rares ou inexistants et quand ils existent leurs coûts sont encore élevés pour la majorité des sénégalais.

En parallèle, pour faire face aux défis de logements abordable couteux, le Sénégal, dans son Plan Sénégal Émergent (PSE) du président de la république Macky Sall, a entre autres intégré la finance islamique dans son économie locale et les banques islamiques proposent un financement de logement halal ou prêt halal appelé le Mourabaha, pour pouvoir réaliser son programme « zéro bidonville » qui consiste à la construction de 100 000 nouveaux logement sociaux dans les communes rurales de plus de dix mille habitants entre 2019 et 2024.

Le Mourabaha fonctionne ainsi : la BIS achète elle-même le bien immobilier pour le revendre avec des facilités de paiement sur une durée maximale de 15 ans ainsi qu’une marge sur le prix connue à l’avance.

L’exemple d’un mode de financement de type Mourabaha est l’Imobis. Ce type de financement est destiné aux particuliers, professionnels et entreprises titulaires d’un compte BIS, à travers lequel la BIS finance l’acquisition d’un bien immobilier (terrain, maison, travaux de construction etc) pendant une période à déterminer entre la BIS et le client.

Outre le Mourabaha, il existe aussi le Makaane, qui est un plan d’épargne logement pour toute personne physique, qui permet de bénéficier d’un financement de projet immobilier suivant les conditions de la BIS, à l’issue d’une phase d’épargne sur une durée de remboursement allant jusqu’à 20 ans. Ce type de financement conditionne un versement initial de 50 000 FCFA (soit 90,5 $US) suivi d’un virements mensuels à partir de 25 000 FCFA (soit 45,25 $US).

Le 3 février 2021, la BIS et le Fonds pour l’habitat Social (FHS) ont signé une convention de financement d’un montant de 50 milliards de FCFA (soit 90,5 millions de $US) destinée au projet des 100 000 logements sociaux du gouvernement sénégalais. Avec cette enveloppe, le gouvernement devrait prendre en charge les travaux de la voirie et réseaux divers (VRD) sur les sites devant accueillir les premiers logements sociaux au profit de la Société d’aménagement foncier et de rénovation urbain (SAFRU).

En Août 2020, le président du groupe de la BID a déclaré avoir mise en œuvre au Sénégal 80 projets d’une valeur de 2,6 milliards de dollars US. Ces projets ont contribué à augmenter la production agricole de 605 000 tonnes ; la construction de plus de 1 200 salles de classe et logements pour étudiants ; de faciliter l’accès à l’eau potable pour plus de 1,2 million de familles ; d’alimenter près de 15 000 familles en électricité ; la construction des routes longues de 461 km et la création d’environ 5 000 postes d’emploi.

 

Potentialités de la Finance Islamique

Avec une large population musulmane au Sénégal, des nombreux foyers seront susceptibles d’être inclus dans des marchés financiers formel en raison de leurs convictions religieuses. En outre, en juin 2016 l’État du Sénégal avait lancé sur le marché de financier de l’Union monétaire Ouest Africain (UMOA) un sukuk, ou obligation islamique pour un montant de 150 milliards de FCFA (soit 2,5 milliards de dollar US), en fixant une marge de profit de 6% et d’une maturité de 10 ans.

Un sukuk est un certificat financier islamique, similaire à une obligation dans la finance occidentale, qui est conforme à la loi religieuse islamique communément appelée Charia. Étant donné que la structure traditionnelle des obligations occidentales payant des intérêts n’est pas autorisée, l’émetteur d’un sukuk vend essentiellement un certificat à un groupe d’investisseurs, puis utilise le produit pour acheter un actif dans lequel le groupe d’investisseurs détient une participation partielle directe. L’émetteur doit également s’engager contractuellement à racheter l’obligation à une date future au pair.

Un autre atout de la finance islamique est l’existence dans le système juridique islamique des directives qui régissent les transactions financières Islamique, comme :

  • L’interdiction des prêts porteurs d’intérêts et d’un certain nombre d’autres services financiers prédéfinis ;
  • Le partage des profits et des pertes qui impose aux fournisseurs de services financiers de partager les profits (ainsi que les pertes) des activités commerciales auxquelles ils fournissent leurs services.

Dans la plupart des cas, les services financiers traditionnels ne satisfont pas à ces deux obligations majeures (la prohibition d’intérêts et le partage des profits et des pertes) et ne sont ainsi pas adaptés aux personnes et aux entreprises d’obédience musulmane ayant des besoins de financement en Afrique.

Dans son ensemble, le Sénégal a une place importante dans le dynamisme financier de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africain avec des encours de crédits à la clientèle du système bancaire s’élevant à 5.25 milliards de FCFA (soit 9.5 millions US$) en 2020 contre 4.87 milliards de FCFA (soit 8.8 millions US$) en 2019 selon le dernier annuaire 2021 du Centre for Affordable Housing Finance (CAHF).

Par ailleurs, avec plusieurs banques islamiques et forte de I ’appui de leurs principaux actionnaires, les banques islamiques au Sénégal entendent de contribuer au développement économique du Sénégal à travers la réalisation des objectifs fondamentaux tels que mener des activités de collecte d’épargne et de distribution de crédits sur la base des principes édictés par l’Islam, répondant ainsi aux besoins et aspirations d’une grande partie de la population sénégalaise ; et offrir aux entreprises et opérateurs économiques des services bancaires modernes et compétitifs en conformité avec les prescriptions islamiques.

 

Opportunités de la finance islamique

Le Sénégal constitue aujourd’hui une place de référence de l’espace UEMOA dans l’offre de produits financiers islamiques. Toutefois, force est de reconnaitre que cette offre reste encore limitée pour une population de seize (16) millions d’individus, à 95 pour cent de confession musulmane.

Des résultats d’études (Rapport 2011-2012 relatif à l’étude sur la revue du cadre réglementaire du système financier en vigueur pour le développement de la finance islamique au sein de l’UEMOA commanditée par le Ministère de l’Économie et des Finances du Sénégal) disponibles confirment l’existence du besoin qui tient d’abord au faible taux d’inclusion financière. Selon le rapport sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA au titre de l’année 2020, il indique un taux de bancarisation au Sénégal à fin Décembre 2020 qui ressort à 19,6% (note d’information 4ème trimestre 2017 N° 52 de la BCEAO – Site BCEAO).

En outre, selon la Société islamique de financement du développement et Refinitiv, branche du groupe Reuters spécialisé dans les données, les actifs de la finance islamique pourrait atteindre 3 700 milliards $ d’ici 2024. Avec une population musulmane d’environ 636 millions, ceci pourrait en effet faire prospérer le marché financier africain.

Au Sénégal le financement de l’économie reste encore contraint par les taux d’intérêt enlevés, la prédominance des crédits courts termes peu adaptés aux besoins, la complexité́ de statut des garanties, les difficultés de réalisation des garanties constituées et la faiblesse des fonds propres des entreprises. À cela, s’ajoutent la faible qualité́ des dossiers soumis aux établissements de crédits, l’asymétrie de l’information entre les offreurs et les demandeurs de crédits, les lenteurs dans le fonctionnement de l’administration judiciaire ainsi que l’insuffisance du nombre de magistrats spécialisés dans le traitement des contentieux bancaires.

 

Défis de la finance islamique

Les plus grands défis de la finance islamique en Afrique, comme au Sénégal, sont les faibles niveaux d’inclusions bancaire (taux de bancarisation), une faible sensibilisation du public, un épargne intérieur limitée et une faible attention des beaucoup de gouvernement africain. Par contre dans les pays comme le Sénégal, le Maroc, le Soudan, le Nigéria, l’Égypte ou en l’Afrique du Sud, une population fortement islamisée constitue une niche de croissance.

L’Afrique Subsaharienne compte environ 16% de la population musulmane mondiale, mais ses actifs bancaires conformes à la charia ne représentent qu’environ 1% des actifs mondiaux.

Au Sénégal l’essor du secteur privé dans le logement est freiné par son faible accès au financement et au foncier, ce qui limite le niveau de ses investissements. Le faible recours aux instruments de financement innovants notamment le crédit-bail, l’affacturage, le capital-risque, la finance islamique et le financement solidaire limitent l’accès du secteur privé au crédit.

En outre, la prépondérance du secteur informel dans l’activité́ économique au Sénégal reste une contrainte pour l’accès au crédit bancaire. Les promoteurs immobiliers rencontrent d’énormes difficultés d’accès au financement bancaire pour la construction des logements, elles ne représentent que 16% du portefeuille des banques.

 

Références :

 

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