La réglementation mondiale de Bâle III et effets potentiels sur l'accès au financement en Afrique
Le cadre de Bâle III est un ensemble de mesures de réformes convenues au niveau international, élaboré par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire en vue de renforcer la réglementation, la surveillance et la gestion des risques du secteur bancaire. Ces mesures élèvent la barre du cadre de surveillance par rapport à ce qui était en vigueur avant la crise financière mondiale (Bâle I et II), essentiellement en introduisant des exigences de capital et de liquidité plus strictes pour les banques commerciales. L’objectif est de réduire la probabilité de faillite bancaire et donc de rendre le système bancaire plus sûr et plus résilient.
Mais des inquiétudes ont été exprimées quant aux effets potentiels imprévus sur l’accès au financement, en particulier dans les pays en développement. L’argument principal est que les mesures de Bâle III sont conçues pour les économies avancées et ne conviendraient pas dans les pays où les banques sont les principaux fournisseurs de financement formel aux ménages et aux entreprises, et où les marchés financiers et des institutions financières bancaires ont un rôle limité.
Un autre argument est que le cadre de Bâle III est conçu, en principe, pour les banques actives au niveau international, et n’est donc pas approprié pour les pays où «la majeure partie du système bancaire peut être constituée de banques constituées en sociétés locales qui ne sont pas actives au niveau international».
Malgré ces préoccupations, plusieurs pays Africains ont récemment adopté ou envisagent d’adopter un ensemble de réformes réglementaires pour se conformer aux exigences de Bâle III. À titre d’exemple, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, qui couvre huit pays de l’Afrique de l’Ouest, a non seulement adopté des exigences minimales de capital et de liquidité conformes à Bâle III (avec une période de transition de cinq ans à partir de janvier 2018), mais a également fixé le ratio minimum d’adéquation des fonds propres au-dessus du niveau requis par Bâle III.
Pour aider à encadrer les discussions politiques sur les effets probables de Bâle III sur l’accès au financement, nous avons examiné les résultats de plusieurs études sur la question. Nous présentons ici les informations clés.
Aperçu 1 : La réglementation Bâle III pourrait avoir des effets négatifs sur l’offre de crédit bancaire.
Ces effets négatifs sont dus aux stratégies que les banques peuvent adopter pour se conformer aux exigences plus élevées en matière de capital et de liquidité. Par exemple, les banques pourraient choisir de mobiliser des capitaux et des liquidités supplémentaires et de répercuter les coûts associés sur leurs emprunteurs via des taux d’intérêt ou des frais plus élevés, ce qui pourrait à son tour réduire la demande de prêts. Les banques pourraient également choisir de réduire la taille de leurs actifs, surtout si elles rencontrent des difficultés ou des coûts élevés pour mobiliser de nouveaux capitaux et de nouvelles liquidités. Il en résulterait une baisse de l’offre de prêts.
Une autre façon pour les banques d’améliorer leurs ratios de liquidité et de capital consisterait à déplacer la composition de leurs portefeuilles d’actifs vers des actifs moins risqués ou plus liquides – par exemple, en remplaçant les prêts à risque élevé par des prêts à faible risque; en augmentant la proportion d’obligations d’État et d’autres actifs liquides; ou en réduisant la maturité des prêts. Les conséquences sur le volume global des prêts bancaires seraient minimes, mais les prêts à long terme et les prêts aux emprunteurs plus risqués seraient affectés de manière disproportionnée.
Aperçu 2: Les effets négatifs sur les prêts bancaires sont susceptibles de varier considérablement d’une banque à l’autre et d’un pays à l’autre. Ces variations reflètent des différences dans une gamme de facteurs – par exemple:
- Les niveaux de fonds propres et de liquidité des banques avant la réforme: les effets négatifs de l’augmentation des exigences de fonds propres et de liquidités seront minimes dans les pays ou régions où les ratios de fonds propres et de liquidités bancaires sont déjà élevés.
- La durée de la période de transition: l’introduction progressive des nouvelles exigences pourrait atténuer l’impact potentiellement défavorable, car une période de transition plus longue vers les nouveaux niveaux de capital et de liquidité étend l’ajustement au fil du temps et facilite les stratégies d’ajustement basées sur l’augmentation du capital plutôt que la réduction des prêts.
- La réponse de la politique monétaire: l’impact négatif pourrait être largement compensé si la politique monétaire pouvait réagir en assouplissant les conditions monétaires – par exemple, en ajustant les taux directeurs ou en facilitant l’accès des banques à la liquidité de la banque centrale.
- Stratégies des banques pour répondre aux nouvelles exigences: les banques peuvent s’adapter pour se conformer aux nouvelles exigences de certaines manières sans nuire au cout et à la disponibilité du crédit. Par exemple, les banques pourraient atteindre un ratio de capital plus élevé en accumulant les bénéfices non répartis plutôt qu’en ajustant à la baisse les prêts. Ils pourraient également absorber les coûts supplémentaires associés aux nouvelles réformes en réduisant les rendements pour les actionnaires ou en réduisant les dépenses d’exploitation, plutôt qu’en augmentant les taux débiteurs.
- Les caractéristiques de l’économie et de son système financier: la capacité des banques à facturer davantage leurs prêts dépend de facteurs tels que le degré de concurrence bancaire et l’élasticité de la demande de prêts dans l’économie. Leur capacité à atteindre un ratio de capital plus élevé par le biais des bénéfices non répartis plutôt que par des ajustements à la baisse des prêts est subordonnée à leur rentabilité. Les coûts de mise en œuvre de la nouvelle réglementation sont susceptibles d’être un peu moins importants dans un environnement où les banques peuvent facilement accéder à d’importantes sommes de capital et de liquidités.
Aperçu 3: Il existe également des effets potentiellement positifs, ainsi qu’une substitution aux prêts non bancaires.
L’évaluation de l’impact total de la nouvelle réglementation sur les prêts devrait prendre en compte non seulement les impacts potentiellement négatifs, mais aussi les effets potentiellement positifs sur les prêts bancaires, ainsi que les effets de substitution vers les prêts non bancaires.
- Les effets potentiellement positifs sur le crédit bancaire: à mesure que les banques renforcent leur capital et leur base de liquidités pour se conformer aux nouvelles réglementations, elles devraient devenir plus sûres et plus résilientes. Elles pourraient voir une baisse de leurs coûts de financement moyens en raison d’une confiance accrue du marché dans leur solvabilité. Cela pourrait améliorer les marges de crédit et favoriser la croissance des prêts à long terme, réduisant ainsi les effets négatifs sur les prêts bancaires.
- Les effets sur le crédit non bancaire: les institutions financières non bancaires n’étant pas affectées par la nouvelle réglementation, elles pourraient bénéficier d’un avantage concurrentiel pour les activités dans lesquelles elles concurrencent les banques. Une substitution du crédit bancaire au crédit non bancaire peut donc survenir à la suite de la mise en œuvre de Bâle III, ce qui pourrait compenser, au moins partiellement, la baisse du crédit bancaire. L’effet de substitution devrait être beaucoup plus marqué dans les pays où les possibilités de substitution entre les formes de financement sont plus larges.
Ensemble, ces trois idées suggèrent que, si et dans quelle mesure, Bâle III aura des effets négatifs sur l’accès au financement est une question ouverte. Mais surtout, les informations suggèrent que les effets négatifs peuvent être compensés, au moins partiellement, si les autorités réglementaires et les banques commerciales adoptent les bonnes stratégies, qui dépendent essentiellement du contexte.
Le CAHF a donc décidé d’entamer une étude empirique en vue d’approfondir l’impact réel ainsi que la perception des nouvelles réglementations de Bâle III parmi les institutions financières Africaines : Comment réagissent-elles aux nouvelles réformes ? Quels sont les défis auxquelles elles sont confrontées pour assurer la conformité et comment parviennent-elles à les surmonter ? Quelles conséquences voient-elles ou attendent-elles de leurs activités, tant à court qu’à long terme ?
L’enquête ci-jointe est envoyée pour recueillir des réponses à ces questions de la part de diverses institutions financières à travers le continent. Le CAHF vous serait gré de bien vouloir remplir le questionnaire et nous le renvoyer d’ici le vendredi 20 mars 2020. Le questionnaire vous prendra environ 10 minutes à remplir, et toutes les réponses seront anonymes. Merci d’accéder au questionnaire en cliquant sur le bouton ci-dessous.
Écrit par: Nketcha Nana, PhD en économie financière (Université Laval, Canada). Ce blog s’appuie sur un travail de conseil réalisé pour le Centre pour le logement abordable en Afrique (CAHF). Il a déjà été publié sur le site Internet de la SAIFM ainsi que sur Globaldev.
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