Mobilisation de ressources à long terme pour le financement du logement en Afrique : quel rôle les diaspora bond pourraient-ils jouer ?

Dans la plupart des pays Africains, le logement abordable est redevenu une des priorités des pouvoirs publics. Cela est matérialisé par le développement de programmes présidentiels de construction de logements abordables dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Kenya, le Cameroun, etc. Mais si ces initiatives sont louables, elles font malheureusement face à des défis de tout genre présent le long de la chaine de valeur dont l’un des plus importants est l’accès au financement du logement, aussi bien pour les ménages que les promoteurs immobiliers.

En effet, comme indiqué par Andrew Chimpondah, CEO de Shelter Afrique, une grande majorité des pays d’Afrique sub-saharienne (ASS) font face à une crise de logement importante. Pour pallier de façon optimale à cette crise, l’industrie du logement devrait investir au moins 2.5 milliards US$/an. Un tel investissement reste un grand défi en Afrique d’autant plus que la plupart des pays ont un accès limité aux sources de financement à long terme qui généralement sont les banques commerciales et leur offre de prêts hypothécaires. Malgré leur utilité, ces derniers [prêts hypothécaires] restent exclusifs à une infime partie de la population et ne permettent pas d’adresser le cœur du problème : l’offre de financement de logement pour les ménages à revenu informel et à revenu faible et moyen. Par exemple, au Kenya, en décembre 2018 le nombre de prêts hypothécaires en cours était de 26 000 pour une population de 51.39 millions. Au cours de la même année, l’encours de prêts hypothécaires en Ouganda était de 5 000 pour une population de 42.8 millions.

Cette situation nous incite à penser urgemment à la création de nouveaux produits de financement à long terme et à se tourner vers des sources de financements différentes des banques commerciales pour assurer une couverture plus large de la demande en financement de logement.

Le CAHF a décidé de s’intéresser activement aux diaspora bonds et d’analyser le rôle de cet outil de financement dans le paysage Africain. Les 2-6 novembre 2020 se sont tenue la conférence et Assemblée générale annuelle (AGA) de l’Union Africaine pour le Financement du Logement (AUHF) sous le thème « Investir dans les objectifs de développement durable : trouver une opportunité dans le logement abordable ». A cet effet, une session spéciale regroupant le chercheur principal du CAHF sur ce projet, les responsables de la Banque de l’habitat du Sénégal (BHS) et la Nigerian Mortgage Refinancing Company (NMRC), et un expert de la Banque Mondiale a été organisée autour de cette question. Elle a permis de collecter d’important point sur la faisabilité et la pertinence des diaspora bonds dans le paysage du financement du logement en Afrique. Elle a également permis de questionner le modèle dans un contexte de crise économique lié à la pandémie COVID-19.

La diaspora Africaine à la rescousse

La diaspora Africaine représente l’une des diasporas les plus importantes avec plus de 145 millions d’expatriés à travers toutes les régions du monde (2020) ce qui représente plus de 10 pour cent par rapport à la population totale estimée sur le continent (1.216 milliard en 2016). Les pays comptant un nombre important d’expatriés vivant dans des pays à revenu élevé sont le Nigéria, le Ghana, le Kenya et la Zambie. Un pourcentage élevé de migrants se trouve dans d’autres pays africains (114 millions soit plus de 70 pour cent).

La contribution potentielle de la diaspora africaine au développement de son pays d’origine est reconnue, que ce soit en facilitant l’investissement étranger dans son pays d’origine ou en investissant directement. Son impact sur le développement est perçu à travers les envois de fonds des migrants (transferts de fonds), l’argent qu’ils envoient de l’étranger à leur famille et à leurs amis permettant aux ménages d’investir dans l’éducation et le logement tout en améliorant le développement du secteur financier et l’économie dans leur pays d’origine. Grâce aux transferts de fonds de la diaspora, de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME et PMI) ont pu voir le jour, de même qu’une évolution relativement acceptable du pouvoir d’achat de certain ménage. Le développement du secteur financier quant à lui a pu se faire par l’implication des banques dans l’offre de solution de transfert d’argent (soit par un partenariat banque-agence de transfert d’argent ou la creation de solution propre à la banque) qui a permis de générer des profits important issus des frais d’envoi qui à ce jour restent les plus importants (neuf pour cent en moyenne vers l’Afrique contre sept pour cent pour les autres régions du monde).

Les transferts de fonds de la diaspora en tant que possible source de financement pour le logement 

En 2015, les envois de fonds vers les pays en développement (Afrique et autres régions en développement dans le monde) étaient estimés à 441 milliards US$, soit trois fois le montant de l’aide publique au développement (APD) et dans certains pays supérieurs à l’investissement direct étranger (IDE). Sur les 441 milliards US$, 66 milliards US$ sont allés à l’Afrique (14 pour cent), des pays comme le Nigéria, l’Égypte et le Maroc étant les plus grands bénéficiaires (73 pour cent de tous les envois de fonds régionaux).

En excluant les pays d’Afrique du Nord de la liste officielle des pays destinataires des envois de fonds en ASS, en 2018 et 2019, l’ASS a reçu plus de 40 milliards US$ de sa diaspora. Les envois de fonds n’étant pas en soi des produits financiers, il reste très difficile de savoir avec certitude comment ils sont dépensés une fois retirés. Cependant, des enquêtes menées dans certains pays africains ont montré qu’une part importante est principalement allouée à l’alimentation, à l’éducation et à la santé, et secondairement à l’achat de terres, à la construction d’une maison, à une entreprise, à l’amélioration de la ferme, au matériel agricole et à d’autres investissements.

Pour assurer l’inclusion de ces envois de fonds au système financier formel et permettre ainsi une analyse réelle de leur utilisation et leur impact au développement des systemes financiers Africains, les diaspora bonds sont souvent un produit financier de prédilection des parties prenantes pour mobiliser l’épargne des diasporas en vue du financement de projets structurant. De manière simple, les diaspora bonds sont donc des obligations à long terme avec un taux d’intérêt fixe ou flottant, généralement en dessous du taux d’intérêt du marché (réduction patriotique) émises par un État ou des acteurs du secteur public ou privé pour le financement de projet de développement.

Au Sénégal, la banque de l’habitat (BHS) a décidé de recapturer les envois de fonds de la diaspora africaine (et sénégalaise en particulier) par le biais de ses diaspora bonds emis sur le marché de l’UMOA. L’objectif était d’utiliser la contribution de la diaspora pour la levée de fonds à moyen terme destinés à la réalisation de projet de construction de logement abordable au Sénégal. Cette première émission de la BHS a connu un taux de souscription de plus de 110 pour cent et a permis de collecter plus de 20 milliards de FCFA (36.2 millions US$). Cette reussite a conduit M. Bocar Sy, directeur général de la BHS à conclure du caractère impératif de la « transformation qualitative de l’épargne de nos compatriotes [africain] en investissements immobiliers » dans la recherche de solution de financement à long terme pour l’Afrique.

Au Mexique et au Maroc, les envois de fonds sont également directement acheminés vers les infrastructures locales au niveau communautaire. Leurs expatriés aident au financement des infrastructures électriques, de l’approvisionnement en eau et des infrastructures d’irrigation, de la construction de routes, de centres médicaux et d’écoles au niveau local.

Forte de sa taille, des compétences techniques variées qu’elle offre par l’existence de ses talents dans divers domaines et secteurs d’activités, et ses envois de fonds important en destination des pays Africains, « il est impératif d’envisager le rôle de la diaspora dans le développement de l’Afrique d’un point de vue stratégique ». Cette vision devient cruciale en particulier pour les questions d’accès au financement important à long terme que nécessitent la réalisation de projets tels que les constructions de logements abordables en masse à travers le continent.

 

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