Histoire du logement et de l’économie : décodage des chaînes de valeur de la construction et de la location de logements
Le secteur du logement influence les économies nationales de trois manières importantes. Tout d’abord, alors qu’il répond au besoin fondamental tout être humain d’avoir un abri, il est également à la base de la participation des ménages à l’économie. Ensuite, il représente l’actif le plus important qu’un ménage accumulera au cours de sa vie et constitue donc une part considérable de la génération de richesses d’un pays. Enfin, la construction, la négociation et la location de logements stimulent la production et la vente des biens et des services, affectant donc de nombreux secteurs de l’économie nationale.
Même si la plupart des personnes conviennent de ces éléments, le degré et le point de cet effet sur le développement économique demeurent moins connus. Même si les chiffres relatifs aux économies développées ne manquent pas, ces derniers, et peut-être même l’approche analytique qui les accompagne, ne correspondent pas vraiment à notre compréhension du secteur naissant du logement « formel », du large nombre de logements informels et des maigres systèmes de financement immobilier dans le contexte africain. Les modèles économiques fortement complexes expliquant l’effet des secteurs du logement et de la croissance et des cycles économiques et les relations entre ces éléments sont peu adaptés aux nouveaux marchés qui caractérisent les secteurs du logement en Afrique, d’autant plus que les données disponibles restent peu nombreuses.
Le premier article de cette série traite de la « chaîne de valeur de la production du logement » : ce processus comprenant l’identification, la planification, l’arpentage, l’enregistrement, la viabilisation et la vente d’un terrain vierge et sur lequel un logement, quel qu’en soit le type, est construit, quelquefois graduellement et parfois par le biais d’un financement hypothécaire ou non garanti. Mais ceci ne nous aide pas à comprendre l’effet réel du logement sur l’économie. Pour cela, nous devons examiner la chaîne de valeur économique du logement.
La chaîne de valeur économique du logement décrit les liens et les conséquences économiques relatifs à la construction et à la location de logements. Elle établit les matières premières, les produits manufacturés et les services (entrées intermédiaires) nécessaires ainsi que leurs provenances dans l’économie. Elle décrit l’ampleur de la valeur ajoutée à l’économie par les promoteurs, les entrepreneurs et les ménages lors du processus de construction ou de location de logements (valeur ajoutée brute) par l’adjonction de leur propriété intellectuelle, de leur gestion et de leurs qualifications (main-d’œuvre), des loyers et des bénéfices, des frais généraux et des installations (excédent brut d’exploitation), ainsi que par le paiement des taxes et des impôts (impôts indirects nets). Cette chaîne de valeur permet ensuite de calculer la valeur économique du parc immobilier produit (production nationale) et l’effet de cette production une fois ajoutée à l’offre globale du pays (offre nationale). Enfin, la relation entre l’offre et la demande nationale apparaît : la détermination des secteurs économiques exigeant cet approvisionnement comme intrants dans leurs propres chaînes de valeurs (demande intermédiaire), ou s’il est utilisé directement par les consommateurs tels que le gouvernement et les ménages, ou s’il s’ajoute à la formation du capital de cette économie (demande finale).
En résumé, entrées intermédiaires (matériaux et services en amont de l’économie) + valeur ajoutée brut (par les promoteurs, les entrepreneurs et les ménages, par le biais des intrants à valeur ajoutée de la main d’œuvre, de l’excédent brut d’exploitation et des impôts indirects nets) = production nationale (création de nouvelles valeurs issues du parc immobilier à louer ou à vendre). Ceci est ajouté à l’offre nationale, qui s’aligne sur la demande intermédiaire (intrants d’autres chaînes de valeurs) ou la demande finale de logements (du gouvernement, des ménages ou au travers d’ajouts à la formation brute de capital fixe dans l’économie). Ce processus économique de base est illustré dans le schéma intitulé « Chaîne de valeur économique du logement générique » ci-dessous.
Une fois ce processus économique défini, cette chaîne de valeur de l’habitat peut alors être employée pour calculer l’effet économique direct de la production, de la vente, et de la location de logements. Ceci inclut la conséquence initiale de la valeur créée durant le processus de construction ou de location et le premier ensemble des retombées provenant des commandes passées en amont auprès des fournisseurs des entrées intermédiaires (matières premières, produits manufacturés et services requis). Puis, la chaîne de valeur calcule l’effet indirect de la création ou de la location d’un tel logement sur l’économie — la manière dont les achats des fournisseurs en amont influencent plus profondément l’économie au travers de leurs propres chaînes de valeur, un processus qui peut fortement pénétrer une économie. En conclusion, elle peut aider à évaluer la manière dont les salaires, les intérêts, les loyers et les bénéfices gagnés dans la chaîne de valeur du logement stimulent les dépenses dans l’ensemble de l’économie (effet secondaire).
Ainsi, le point de départ de la compréhension de la chaîne de valeur économique du logement se situe au moment de la construction. Un promoteur, un entrepreneur ou un ménage décide de produire un logement, pour répondre à une demande spécifique au sein de l’économie. L’habitation est déterminée, conçue et chiffrée, et des financements sont levés pour son développement. Le terrain est identifié et garanti, et les infrastructures sont installées. Puis, les entrées intermédiaires comme les matériaux de construction et les produits manufacturés sont commandés et apportés sur le site. À ce moment, les intrants à valeur ajoutée (comprenant la gestion, le capital, les capacités et la main-d’œuvre, les machines et les installations) du secteur du bâtiment sont jumelés à ces entrées intermédiaires afin de construire des habitations. Ce processus entraîne la création d’une nouvelle valeur économique dans l’économie par le biais du secteur du bâtiment (valeur ajoutée brute).
Même si leurs niveaux et leurs exactitudes varient, les services statistiques nationaux de la plupart des pays rassemblent ces données lors du processus de comptabilité nationale. Ces données sont souvent définies en termes de « classification type des industries » (CTI). Cependant, à notre connaissance, le secteur du logement ne fait pas l’objet d’une quantification centrale dans ce processus lorsqu’il est mené par les pays en développement, alors qu’il est étroitement surveillé dans les pays développés. Pour un pays en développement comme l’Afrique du Sud, une telle mise en œuvre nécessiterait une amélioration des données (lorsqu’elles existent) de l’ensemble des secteurs de la CTI (CTI 5 — Construction et CTI 8 — Services de financement, d’assurance, immobiliers et commerciaux) pour calculer les contributions spécifiques de la construction et de l’immobilier résidentiels. Nous nous référons ici à la CTI sud-africaine. Cependant, les définitions utilisées sont très proches de celles de la classification internationale type par industries des Nations Unies (CITI).
Ce processus de valorisation dans le secteur de la construction résidentielle a des effets importants en amont de l’économie. Les entrées intermédiaires nécessaires à la construction de logements proviennent et sont commandés auprès de fournisseurs issus de secteurs économiques variés. Les matières premières (par exemple : bois de construction, sable, pierre, chaux) proviennent des secteurs primaires de l’économie : agriculture, sylviculture, et pêche (CTI 1) et mines et carrières (CTI 2). Les produits et les composants manufacturés proviennent des secteurs secondaires de l’économie et constituent l’essentiel de ces entrées intermédiaires : le bois et les produits du bois (CTI 321-322) incluent le bois de construction, les poutres de toit, les huisseries et les placards ; les produits du pétrole, les produits chimiques et les produits en caoutchouc et en plastique (CTI 331-338) sous forme de produits raffinés du pétrole et de fibres comme les peintures, les solvants, les matériaux d’isolation et les plastiques ; les produits minéraux non métalliques (CTI 341-342), qui incluent dans une large mesure le ciment et les produits manufacturés à base de ciment comprenant les blocs de ciment, des appuis de fenêtre et les linteaux en ciment armé, les briques et les panneaux de plafond ; les métaux, machines et équipements (CTI 351-359) incluent les produits sidérurgiques de base et manufacturés tels que les panneaux de toit, les ronds à béton, les armatures, les clous, les vis et les charnières, ainsi que les machines et les équipements ; et les machines et appareils électriques (CTI 361-366) comme le câblage, les tableaux de distribution, les chauffe-eau, les interrupteurs, les ampoules et les transformateurs électriques.
La chaîne de valeur du logement puise également dans les entrées intermédiaires des secteurs tertiaires de l’économie. Ceux-ci incluent les services de financement, d’assurance, immobiliers et commerciaux (CTI 8) tels que les services financiers, les agences immobilières, la gestion de propriété, et les services juridiques et marketing ; les services communautaires, sociaux et personnels (CTI 9) ; et, dans une moindre mesure, les services commerciaux, de restauration et d’hébergement (CTI 6) ainsi que le transport, le stockage et la communication (CTI 7).
Les entrées économiques intermédiaires sont associées aux intrants à valeur ajoutée pour créer la valeur ajoutée brute au cours du procédé de construction ou de location. Lors du processus de construction de logements, le secteur de la construction (CTI 5) ajoute une valeur significative à ces entrées intermédiaires. Le secteur du bâtiment (CTI 51) et, dans une moindre mesure, le secteur du génie civil et autre (CTI 52-53) contribuent, lors de la construction, à la valeur ajoutée brute. Cette dernière se décline sous trois formes :
- Tout d’abord, au travers de la valeur ajoutée générée par la main-d’œuvre. Il s’agit d’un mot « fourre-tout » regroupant les contributions des dirigeants, des superviseurs, des individus qualifiés et semi-qualifiés employés dans l’industrie du bâtiment de manière permanente, informelle ou contractuelle, qui prennent part au développement immobilier et à la construction.
- Puis s’ajoute la valeur représentée par l’excédent brut d’exploitation. Il s’agit de la somme de l’ensemble des locations, des intérêts et des bénéfices produits pendant la construction de logements.
- Enfin, au cours du développement et de la construction, des taxes et impôts sont versés, créant ainsi une valeur supplémentaire pour le secteur gouvernemental.
La valeur brute ajoutée aux entrées intermédiaires produit le parc immobilier national, qui s’ajoute à l’offre nationale de logements d’un pays. Sur un marché immobilier performant où le nombre de logements est suffisant pour satisfaire aux différents besoins de la population, cette offre totale devrait correspondre étroitement au profil unique de demande, en termes de types de logements et de sous-marchés liés à l’accessibilité financière et de préférences de mode d’habitation (régimes de propriété ou de location).
La chaîne de valeur de la construction de logements produit de nouveaux parcs immobiliers, mais la chaîne de valeur de la location de logements contribue également à la chaîne de valeur du logement. Dans la chaîne de valeur de la location de logements, l’approvisionnement et l’application du parc immobilier se font en fonction de la demande relative à la location. Le secteur locatif puise nettement plus dans les services (secteur tertiaire) et un nombre limité d’intrants de fabrication (secteur secondaire). Tandis que dans la construction, la valeur est ajoutée une fois au moment de l’édification, puis seulement lors de l’amélioration progressive ou du remplacement de l’habitation, chaque logement locatif, dans la mesure où il est loué, participe annuellement à la chaîne de valeur de la location. Par conséquent, même dans une économie dans laquelle la plupart des ménages sont propriétaires plutôt que locataires, la chaîne de valeur de la location peut constituer une valeur monétaire supplémentaire significative pour l’économie puisqu’il s’agit d’une occurrence répétitive. Naturellement, les propriétaires tirent également annuellement parti de leur habitation et, dans beaucoup de pays, les montants nominaux sont inclus dans les comptes nationaux en prévision de ceci. Mais, grâce aux transferts économiques (loyers) qu’il stimule, le secteur locatif est un contribuant économique plus évident.
La chaîne de valeur du logement est tout aussi efficace pour tracer les effets du développement d’appartements de luxe sur plusieurs niveaux avec terrasses reposant sur un crédit hypothécaire que ceux engendrés par le processus d’un ménage construisant progressivement son propre logement informel. L’ensemble des activités de construction et de location ajoute une valeur économique au travers d’une seule et même chaîne de valeur, même si sa mesure diffère en fonction des divers secteurs de l’économie. Si la chaîne de valeur de la construction de logements engendre la majeure partie de la valeur dans la construction (CTI 5), dans la fabrication (CTI 3), dans les services de financement, d’assurance, immobiliers et commerciaux (CTI 8) et dans les services de commerce, de restauration et d’hébergement (CTI 6), notre analyse indique que les chaînes de valeur de la construction et de location de logements génèrent des conséquences importantes dans chaque secteur industriel principal (CTI 1 à 9). Fondamentalement, les chaînes de valeur de la construction et de la location représentent des entrées intermédiaires très différentes et leurs contributions à la valeur ajoutée brute varient. Ces deux composants de la chaîne de valeur du logement travaillent donc en tandem pour stimuler et accroître de nombreux secteurs économiques au sein d’une même économie.
La construction et la location résidentielles produisent d’autres effets. Puisque les activités constituant l’économie d’un pays sont étroitement liées, il existe d’autres impulsions économiques (effets économiques indirects et secondaires) générées par la chaîne de valeur du logement. Les fournisseurs d’entrées intermédiaires dans les chaînes de valeur de la construction et de la location de logements possèdent leurs propres chaînes de valeur relatives à la création de leurs produits. Par exemple, un fabricant de chauffe-eau se fournit en métaux, en plastiques, en isolation et en éléments de plomberie et électriques préfabriqués et ajoute de la valeur à ces derniers pour créer un produit satisfaisant une demande en aval. La chaîne de valeur du logement crée donc un mouvement en amont de l’économie — dans le cas du chauffe-eau, pour les sous-secteurs de l’économie liés à l’exploitation minière, à la fonte, à la transformation des métaux, aux plastiques, aux éléments de plomberie et électriques. À leurs tours, chacune de ces chaînes de valeurs a un effet sur chacune des sous-chaînes des secteurs concernés. Dans ce processus, la chaîne de valeur directe du logement engendre des effets économiques indirects plus larges et plus profonds sur l’économie.
Naturellement, ces conséquences économiques du logement se ressentent également « en aval ». Le logement aide à stimuler la demande de meubles, d’appareils ménagers, d’équipement de jardin, de services de sécurité et d’autres services connexes. Cependant, nous aborderons de manière plus détaillée ces effets indirects et secondaires ultérieurement.
Grâce à notre analyse de l’effet du secteur du logement sur l’économie, nous savons qu’en plus de produire des habitations, les domaines de la construction et de la location de logements sont à la fois des créateurs et des stimulateurs économiques et soutiennent la dynamisation directe des secteurs économiques primaires, secondaires et tertiaires nationaux. De plus, si elle est soutenue et si elle évolue dans le temps, la chaîne de valeur du logement crée des emplois durables. Par conséquent, pour tout pays, la croissance et le maintien d’un niveau constant d’activités dans les domaines de la construction et de la location de logements devraient dépasser le simple besoin fondamental d’abri pour être considérés comme une priorité économique. Il est certain qu’une activité soutenue dans ces secteurs joue un rôle important dans l’équilibre et la croissance des économies en développement.
Dans notre prochain article, nous discuterons de la taille et de la structure des chaînes de valeur de la construction et de la location de logements en Afrique du Sud et, dans les mois à venir, nous appliquerons cette méthodologie à d’autres pays.